► AGE : vingt-neuf ans. ► STATUT : célibataire. ► MÉTIER : agent de police. ► NATIONALITÉ : américaine. ► GROUPE : everything's not lost. ► POURQUOI CE GROUPE: elle fait des erreurs, comme tout le monde. en ville, on la connaît instable et lunatique, excessive, mais le fait qu'elle ait suivi les traces de son père en choisissant de défendre la loi la place parmi les justiciers. les avis sur son compte restent néanmoins partagés. ► AVATAR : Sophia Bush. ► CRÉDIT : penelopesbrooke | tumblr.

Un autre foutu assassinat. Je n'ai pas été appelée sur la scène de crime, mais je suis observatrice et j'ai deviné l'ombre qui est passée dans leurs yeux lorsqu'ils ont quitté le bureau. Et si je ne doute pas de la capacité de mes collègues à s'occuper d'une scène de crime aussi bien que moi, c'est l'adrénaline qui me pousse à décoller mon cul de ma chaise. Un coup d'oeil en direction de la pendule m'indique douze heures. Pause de midi, et rien dans l'règlement ne m'interdit de me rendre dans la forêt (par le plus grand des hasards) pour déjeuner. Si c'est considéré comme une perte de temps par certains, car les deux agents envoyés sur place nous ferons un rapport détaillé, je préfère être présente. Voir, ressentir. Vivre. J'attrape mes clés de voiture d'un geste pressant.

La forêt n'est pas loin. Ou, plutôt, la ville n'est pas grande. Le trajet du commissariat jusqu'à l'orée ne me prend que quelques minutes. Des voitures de patrouilles, ainsi que celles des scientifiques, sont arrêtées au bord de la route. Je m'immobilise à leurs côtés, sors de l'habitacle et avance. La forêt, alors que je n'ai jamais vraiment éprouvé grand plaisir à la côtoyer, n'a plus beaucoup de secrets pour moi. Ainsi que pour mes collègues. Nous la connaissons à présent aussi parfaitement que le bar avoisinant le commissariat. L'habitude. Toujours l'habitude. Quelques têtes se retournent sur mon passage, quelques murmures me parviennent. Mais complètement insondables. Je ne m'y attarde même pas. J'atteins finalement les balises qui entourent la scène de crime, je reconnais l'une de mes collègues, ainsi que son partenaire, penché sur un corps. Un corps que je ne parviens pas encore à identifier, car trop éloigné. Je m'approche.

« Cartwright ? » Fait soudainement une voix que je connais trop bien. « Merde, mais qu'est-ce qu'elle fout ici ? » Camden, adjoint du sheriff et accessoirement meilleur ami - du moins jusqu'à ce que l'ouragan Jasmin ne passe encore par là - m'attrape par la taille et me tire en arrière. Je suis tentée de lui mettre un coup mais me retiens. Il est mon supérieur à présent, plus mon partenaire. Et il saute ma soeur à présent, plus moi. « Je ne sais pas... Mon boulot, peut-être ? » J'essaie de me détourner afin de me frayer un chemin. Mais il me suit, ne m'adresse pas même un sourire. Apparemment, la situation n'amuse aucun de nous deux. Je lui envoie un regard dont j'ai le secret, menace à peine dissimulée que s'il ne dégage pas de mon chemin, il n'attend rien pour voir. Pourtant, c'est peine perdue. Il s'autorise même deux mains plus pressantes sur mes épaules. Ça m’électrise mais je feins l'indifférence. Alors je recule. Et, lorsqu'il pense que la bataille est gagnée, je fais un pas et le devance. « Non ! Cartwright... »

Et c'est là que je la vois. Que je me vois. Allongée sur le dos, ma nuque forme un drôle d'angle. Sang dans mes oreilles, sang sur mes lèvres, sang partout. Du sang et encore du sang. Ça bourdonne dans ma tête. J'entends de drôles de voix à mes côtés, je sens une pression sur mon bras qui me tire en arrière. Pourtant, je fais l'inverse. Je marche vers ce corps qui me fascine. Ce corps que je connais bien. Je gis là. Je suis morte, étalée sur les feuilles mortes et humides. J'ai un haut le coeur, je comprends que ce n'est pas moi, mais elle. Jasmin a été assassinée et je suis immobile devant son corps sans vie, inanimé. On me tire encore en arrière. Je me fiche si c'est Camden, si je déteste qu'il me touche. A vrai dire, en cet instant précis, je lui en serais presque reconnaissante. Il faut qu'il me sorte de là. J'accélère le pas, suis le mouvement, je me détache de son emprise. Je m'accroupis. Je vomis. Je dégueule mes tripes, ma colère, peut-être même un peu de tristesse. Je ne sais pas. Tant d'actions et de pensées que je ne comprends pas, que je ne maîtrise pas.

Je vomis. C'est mon dernier souvenir.

***

Et maintenant je suis là, assise sur une chaise en bois sacrément inconfortable au commissariat où je ne suis plus considérée comme l'une des leurs, mais comme la famille d'une victime. Je déteste leurs regards. Il me jauge comme si j'allais m'écrouler d'une seconde à l'autre. J'ai envie de leur hurler que ça va. Que, de toute façon, Jasmin et moi n'avions plus aucun contact. Lorsqu'on se croisait à l'épicerie de Mme Jones, on faisait comme si on passait devant une glace. L'autre n'existait pas. Et la réalité me frappe de nouveau de plein fouet. L'autre n'existe plus. Il n'y a que moi. Devrais-je me sentir coupable ? C'est ce dont j'ai toujours rêvé. Qu'une seule moi. Je suis unique. Devrais-je me sentir triste, accablée, en colère ? Je ne ressens rien de tout ça. Tout est vide. Je suis vide, et c'est avec le regard vide que je regarde Camden sortir du bureau du sheriff et me faire signe de le suivre dans le sien.

La suite m'échappe. Je ne me sens pas marcher jusqu'à son bureau en bois et, pourtant, je suis bien assise face à lui. Je suis complètement étrangère à mon corps. Comme si celui que j'avais vu dans la forêt était le mien et qu'il m'était donc impossible d'être là, bien vivante. « Ethel ? » Le fait qu'il m'appelle par mon prénom me gêne, mais la faiblesse que je ressens dans tous mes membres m'empêchent de lui faire une remarque. Il prend certainement cela pour de l'encouragement et continue. « Ne le prends pas mal mais je suis forcé de te retirer de l'affaire. » C'est l'électrochoc. Les rouages de mon esprit se remettent soudainement à tourner dans le bon sens. Je secoue la tête, ai même un rictus malvenu. « Ouais, c'est ça... Comme si tu pouvais faire la fine bouche en un moment pareil. » Il sait que j'ai raison, qu'un agent de moins fera la différence et, pourtant, je ne semble avoir marqué aucun point. Zéro. Nada. « C'est devenu trop personnel. » Je le regarde, incrédule. Pour de vrai, pas d'humour noir : je ne percute pas son argument. « Qu'est-ce que tu veux dire ? » Cette fois, je le perturbe réellement. Il soupire et passe une main sur son visage. Son regard anxieux me laisse perplexe. J'ai pris l'habitude de me blinder face à lui. Ou il ferait de moi ce qu'il voudrait. « Ethel, (à nouveau, je plisse le nez lorsqu'il prononce mon prénom), est-ce que tu as reconnu la personne dans la forêt ? » Je n'ai pas de réaction. « Mon Dieu, elle est sous le choc... » murmure-t-il en se levant.

Je le suis du regard, hausse les épaules. « Les victimes sont toutes proches de quelqu'un. Je sais faire la différence. Après tout, tu te la tapais. Est-ce que tu es interdit d'affaire pour cette raison ? » Il n'a pas l'air d'apprécier mon aplomb. Ni le fait que je parle d'une morte (sacro-sainte mort, tabou !) en ces termes. Il explose. « C'est ta soeur, bordel ! Comment peux-tu être aussi passive ? On dirait que tu t'en fiches. Tu ne l'aimais donc pas même un peu ? » Je le fixe du regard. « On était... différente. »

Sciemment, je laisse le mystère planer sur cette question. Peut-être ne connaîtrais-je jamais moi-même la réponse. Mais ce qui était certain, c'est qu'elle prenait décidément trop de place. Même dans la mort, il n'est encore question que d'elle.