Everybody just have a good time.

Depuis mon dernier passage à Cascade Locks il y avait eu énormément de changements. Bien-sûr j’en avais régulièrement entendu parler lorsque j’étais au téléphone avec ma grand-mère qui avait décidé de ne pas quitter la ville pour rejoindre comme ça avait été le cas pour mes parents et moi-même huit ans en arrière. Depuis mon retour et malgré tout ce qu’il pouvait se passer de négatif, notamment les meurtres qui frappaient régulièrement notre communauté je redécouvrais petit à petit chaque endroit qui avait bercé mon enfance. L’un des lieux symboliques et qui n’existait pas à mon époque était la fête foraine, après avoir déposé mes valises et m’être acclimatée à la vie beaucoup moins à deux-cent à l’heure que mon train-train quotidien à New-York je m’étais finalement décidée à aller y faire un tour. Au départ je prévoyais d’y aller avec ma grand-mère mais elle avait un dernier examen à faire avant de pouvoir programmer la tumorectomie qui lui enlèverait son cancer du sein. Après avoir lutté j’avais donc laissé aller cette femme forte et très appréciée dans les environs toute seule à son rendez-vous. Après de nombreuses hésitations je me retrouvais donc en plein milieu de la fête foraine, j’adorais l’ambiance festive qui en dégageait et c’était déjà l’occasion de repérer quelques adolescents qui étaient susceptibles d’être mes élèves. Je commençais mon remplacement la semaine prochaine, le professeur avait eu besoin de faire une partie de son année scolaire pour valider sa retraite, une aubaine pour moi qui me retrouvait avec une proposition d’emploi avant même d’avoir cherché. Perdue dans mes pensées je rentrais de plein fouet dans un homme, levant les yeux après m’être écrasée contre sa poitrine musclée je prenais une petite inspiration souriant gênée. « Excusez-moi. »

Désolé c'est pas super comme début.

Everybody just have a good time.

Plus jeune je n’avais jamais vraiment profité des fêtes forains, des parcs d’attractions pour la simple et bonne raison que dans ma famille personne n’était vraiment branché par ce type d’activités. Ma grand-mère m’avait emmené une fois ou deux à la fête foraine pour faire un petit tour, elle était restée une enfant et lorsqu’elle montait dans un manège, et même si j’avais dû la travailler au corps pour qu’elle accepte de faire un tour, elle avait toujours les yeux qui s’illuminaient et brillaient comme ceux d’un enfant. Une fois à New-York je n’avais pas sauté sur l’occasion pour faire le retour des bonnes adresses dans le domaine, bien au contraire, malgré les nombreuses soirées peut-être un peu trop arrosées parfois j’étais restée très studieuse, mon objectif était d’obtenir les notes suffisantes pour être dans les meilleures. Okay, je n’avais pas besoin d’être la première de la classe pour devenir professeur de langues mais sur le moment je ne pensais pas vraiment à ça, je désirais juste avoir la reconnaissance de mes parents et on ne peut pas dire que ça avait été un franc succès. Au final ils n’en avaient pas eu quelque chose à faire que je sois dans les majors de ma promotion, bien au contraire c’est à peine si j’avais eu droit à une mauvaise réflexion sur mes capacités, selon eux je n’avais pas fait assez bien et c’est à ce moment-là que j’avais compris que je ne voulais pas être avec eux encore longtemps. A la sortie du lycée j’avais passé un certain nombre de mois à voyager que ce soit en Espagne, mon pays natal, en France, en Italie ou encore en Chine. Il avait été difficile d’apprendre le chinois mais aujourd’hui je maitrisais les bases et je pouvais même donner quelques cours à ceux qui voulaient un éveil à cette langue. Passons, une fois de retour à New-York je m’étais sentie étouffée, je ne pouvais plus vivre avec mes parents sans avoir envie de leur hurler dessus à chaque fois que nous dinions ensemble. A bien y repenser je me disais que la maladie de ma grand-mère avait eu du bon, j’avais pris la décision de revenir ici pour au minimum le reste de l’année scolaire, un nouveau poste et une nouvelle vie… Oui, enfin une redécouverte de mon ancienne vie puisque Cascade Locks représentait quand même dix-sept longues années de mon passé. Je me sentais déjà chez moi ici depuis mon retour et je ne doutais pas une seule seconde de ma capacité à m’intégrer au mieux. Errant en plein milieu de la fête foraine comme une âme en peine je comprenais pourquoi tout le monde aimait venir avec des amis, on ne pouvait pas vraiment s’amuser en solitaire et je me disais qu’il était peut-être préférable de rebrousser chemin au moment où j’avais foncé dans un homme plus âgé que moi. Je levais les yeux m’excusant pour ne pas avoir fait attention. « Non c'est moi, je marchais en regardant mes pieds, alors forcément je ne pouvais pas vous voir. » Je souriais amusée répondant du tac au tac. « Et moi j’étais perdue dans mes pensées… On est tous les deux fautifs dans l’histoire ! » Il m’adressait un bref sourire, je ne sais pas pourquoi mais je ressentais comme une difficulté à éprouver de la joie, avait-il vécu un drame ? D’après ce que j’avais compris il y avait eu pas mal de meurtres ici dernièrement. Ma grand-mère se voulait rassurante mais je n’étais pas persuadée que les environs soient si protégés que ça. Le mystérieux inconnu avait fait tombé un carnet mais avant que je n’ai pu me baisser pour le ramasser il en avait fait de même. « Loin de moi l'envie de passer pour un fossile ou que sais-je encore, seulement je n'ai pas le souvenir de vous avoir déjà vue à Cascade Locks. » Je riais, il était fort probable que nous ne nous soyons pas croisés, surtout s’il n’était pas déjà installé dans les environs il y a huit ans. « Je suis nouvelle… Enfin… Je suis de retour… Je suis la petite fille de Madame Woods… Alma Woods ! » Je croisais mes bras renchérissant chaleureusement. « Je vous offre une gaufre ou une crêpe pour m’excuser… » Un moyen comme un autre de faire un peu plus connaissance.

Everybody just have a good time.

Je n’étais pas une fille très sérieuse en dehors du travail. Ne croyez pas que je n’étais pas sérieuse sur mes relations et tous les trucs dans le genre, non, ce n’est pas sur ce point-là que je n’étais pas une fille sérieuse bien au contraire, je n’étais juste pas vraiment attirée par les longues sorties dans les hauts lieux de la société. Certains ne pouvaient pas y avoir accès faute de notoriété et entendez par là de richesse mais moi je donnais volontiers ma place. Les meetings et compagnie comme mes parents savaient les organiser et dans lesquels ils étaient en permanence invités ce n’était clairement pas mon truc. Je préférais plutôt les soirées devant la télévision à critiquer les pétasses des émissions de télé réalité avec un gros paquet de chips, des pizzas et des bières. Okay, le mythe s’écroulait mais je n’étais pas qu’une personne qui se devait d’avoir une certaine réputation pour ne pas faire honte à ses parents, même lorsque j’enseignais je ne pouvais être trop sérieuse et sévère, c’est ce qui plaisait à mes élèves de toute manière, ils se sentaient en confiance et proches de moi et même si ce n’était pas forcément une bonne chose pour le bon déroulement de la pédagogie je n’étais pas embêtée et pouvait organiser mes cours sans problèmes notables. Pourquoi est-ce que je raconte tout ça ? Aujourd’hui comme à mon habitude je rêvassais donc sans vraiment m’occuper de ceux qui m’entouraient, il faut dire que je ne connaissais personne et je prenais vraiment conscience qu’en huit ans il y avait eu énormément de changements dans le coin. Les fortes têtes étaient toujours là, je reconnaissais madame Whitaker la commère du quartier à l’époque entourée de quelques autres mémés, surement en train de faire les derniers potins du jour mais à part les plus anciens il y avait eu énormément de mobilité. Le jeune homme que j’avais percuté aurait pu être une connaissance mais non, c’était un charmant inconnu très appréciable physiquement parlant mais je n’y prêtais pas vraiment attention plus d’une seconde, je n’étais pas une sérial loveuse comme disaient si bien les jeunes de nos jours, loin de là même si j’appréciais la compagnie masculine. Après quelques excuses échangées je lui proposais donc d’offrir une petite gourmandise sucrée pour m’excuser, accepterais-t-il ma proposition ? Je l’espérais en tout cas. « Vous êtes bien aimable, et... ce ne sera pas de refus. Une gaufre, alors. » Je souriais prenant la direction opposée pour rejoindre le premier stand de gaufres qu’il y avait sur la fête foraine. J’en commandais deux non sans avoir demandé ce qu’il souhaitait mettre dessus, j’optais personnellement pour une pointe de sucre glace. Quoi ? Je mangeais peut-être comme dix mais je faisais attention à ma ligne, rajouter du gras ou du sucre en grande quantité juste pour le plaisir ce n’était pas trop mon truc. « Merci. » Je souriais amusée répondant du tac au tac chaleureusement. « C’est naturel, j’ai chiffonné votre cahier en plus ! » Je souriais une nouvelle fois, nous devions attendre quelques minutes le temps que la gaufre soit cuite, l’occasion de faire un peu plus connaissance. Shen reprenait d’ailleurs immédiatement la parole. « Vous devez être Katharine, je présume. Je connais bien votre grand-mère, elle m'a parlé de vous à plusieurs reprises. Elle vous aime beaucoup, vous savez. » Je le savais mais c’était toujours touchant de savoir que les autres étaient au courant, mes yeux brillaient, ma grand-mère et moi étions très proches, c’est elle qui avait tout fait pour moi. Jamais je ne pourrais la remercier avec une valeur aussi importante que ce que j’éprouvais à son égard. Elle était fondamentale à mon équilibre et savoir qu’elle souffrait d’un cancer, aussi bénin soit-il, me faisait beaucoup de peine. « Je me présente, Docteur Shen-Kome Young. » Il me tendait la main, je la lui serrais donc me décidant à me présenter officiellement tout de même. « Enchantée. Katharine Woods… Et vous connaissez ma grand-mère ? C’est une femme exceptionnelle ! » Okay, je ne vantais pas du tout les mérites de ma grand-mère juste un peu… Beaucoup mais elle le méritait pour ma défense, elle faisait tellement pour tout le monde, en ville je savais qu’elle n’était pas la dernière à faire des dons pour aider les entreprises touchées par la crise, elle donnait aux associations locales… Bref, elle était globalement très investie dans la vie de Cascade Locks.

Ce n'est pas génial, désolé *et désolé pour le retard*

Everybody just have a good time.

L’ambiance fête foraine me donnait la pêche, les forains, le monde autour de moi, la musique très fort et calquée sur les clubs, c’était un univers qui me parlait, peut-être parce qu’à vingt-cinq ans je me passionnais encore pour les soirées en boite et plus généralement sur la notion de fête. Je ne voulais pas être une petite vieille qui finirait seule avec dix-huit chats qui puent sans un seul mec pour se soulager avec un peu de bon sexe de temps en temps, j’étais clairement plus Rihanna qu’une ville qui était prête à rejoindre un couvant avec d’autres vieilles filles. Parfois je me sentais un peu stupide de toujours être très attirée par le monde de la nuit, à New-York il m’était arrivé de retrouver des élèves dans la même discothèque et certains me faisaient même du rentre-dedans ce qui, le lundi matin lorsque tu devais leur donner un cours des plus sérieux creusait le paradoxe. Je me souvenais d’une fois où je n’avais pas fait attention au garçon avec qui je dansais, je me contentais d’être collée à son torse, de dos me défoulant sur une vieille chanson rock qui me donnait la patate, lorsque je m’étais retourné et qu’il s’agissait d’un élève je m’étais sentie aussi mal que lui qui pensait simplement que j’étais une latino avec qui il pourrait s’envoyer en l’air dans les chiottes avant la fin de la nuit. Je n’étais déjà pas le genre à baiser n’importe où en temps normal mais là ça avait été encore plus hors de question. Non, ici j’allais être plus attentive, qui dit petite ville dit plus facilement de potins et je ne tenais pas à ce que l’on remette en question mes qualités d’enseignante sous prétexte que je profitais encore de ma jeunesse. Après avoir bousculé Shen je lui avais offert de nous payer une gaufre, je n’aimais pas être en tort, ainsi je réglerais ainsi ce que l’on pouvait considérer comme une dette. Je suis peut-être étrange mais je détestais avoir le sentiment d’avoir été fautive dans quelque chose, mon côté bon samaritain dirons-nous. « Oh non, ça ce n'est pas grave du tout, ne vous en faites pas. » Son carnet était légèrement corné je me disais qu’il pouvait peut-être énormément tenir à cet objet et c’est donc pour ça que je m’excusais avec une politesse infime. L’un des avantages de la richesse et des soirées mondaines, je n’étais pas une racaille qui ne savait pas parler de manière légèrement soutenue, au contraire, je maitrisais assez bien ce langage. Alors que je me présentais intriguée par le fait qu’il puisse bien connaitre ma grand-mère le jeune forain qui s’occupait de ce stand de sucreries revint vers nous avec deux gaufres, je payais le remerciant tout en tendant l’une des deux gaufres à Shen. « Je n'aurais pas dit mieux. Elle a beaucoup apporté à Cascade Locks, et si j'en crois ce que je viens de voir, vous aussi vous donnez dans la bienfaisance. » Il est vrai qu’après avoir été éduquée toute mon enfance par ma grand-mère j’avais pu bénéficier de la plupart de ses qualités, bon, je n’étais peut-être pas aussi investie dans la vie de Cascade Locks pour la simple et bonne raison que j’étais un peu anxieuse à l’idée d’y rester trop longtemps, j’étais non seulement inquiète pour ma sécurité mais également pour celle d’Alma, si ma grand-mère était assassinée je crois que je ne pourrais pas m’en remettre facilement. « Elle aime énormément cette ville et ses habitants… Je me suis toujours demandée pourquoi elle n’a pas tenté de devenir maire ou d’obtenir un poste de ce genre-là, elle serait largement plus compétente que certains pour apporter un peu de joie. » Surtout en ce moment, le climat était funeste dans le coin et il suffisait de voir l’heure à laquelle les rues avaient tendance à se vider en début de soirée, personne ne souhaitait être le dernier dehors, seul dans une ruelle sombre et même si les cadavres étaient retrouvés en forêt ils pouvaient très bien avoir déplacés. « J'ignore si votre grand-mère vous en a parlé, mais soyez prudente Katharine. Il ne fait plus tellement bon vivre ici actuellement... » Je croquais dans ma gaufre ne pouvant contenir un petit soupir de plaisir, j’adorais les gaufres, il n’y avait rien à redire sur celle que j’avais entre les mains. « J’en ai entendu parler oui… C’est horrible, cette ville était tellement calme avant… Et vous ? Pourquoi êtes-vous encore là si ce n’est pas indiscret ? »

Ce n'est pas génial, désolé *et désolé pour le retard*

Everybody just have a good time.

Mon arrêt par la fête foraine ne se soldait plus par un échec cuisant qui me conduirait à rayer définitivement l’idée d’y revenir de ma liste des choses à faire prochainement, non, être entrée en collision avec Shen s’avérait être une sortie de signe du destin pour nous faire connaissance, il était un homme très charmant, avec une posture rassurante et gentleman, le genre de garçons qui ne pouvait laisser personne indifférent quoi. Je le suivais du regard lorsque nous partions vers le stand de gaufres, à présent en train de déguster la mienne tranquillement et en évitant de me mettre du sucre glace partout je discutais d’Alma, ma grand-mère à ses côtés. Il est vrai que je me sentais très chanceuse d’avoir une femme aussi généreuse et indépendante qu’elle comme grand-mère, c’était vraiment quelque chose qui me faisait du bien et qui me rendait plus fière que jamais, elle aurait pour toujours et à jamais mon respect, rien de ce qu’elle pourrait me dire ne pouvait changer ça tellement elle avait fait pour pendant l’absence de mes parents lorsque j’étais plus jeune, pour tout ce qu’elle avait fait afin de sauver cette ville et pour tout ce qu’elle représentait plus globalement. La discussion dérivait sur les problèmes qui touchaient la ville en ce moment, depuis mon arrivée une femme s’était faite assassinée et je savais à présent que ma grand-mère ne plaisantait pas lorsqu’elle m’avait mis en garde. Le danger était partout en ville et si je ne faisais pas attention je pourrais bien être la prochaine, la seule chose qui m’empêchait de mettre les voiles c’était bien ma grand-mère, jamais elle ne voudrait partir, cette ville la concernait trop, elle partait en quelque sorte à la chasse au tueur et j’étais très inquiète pour cette raison, si elle s’approchait trop il y avait une forte probabilité pour qu’elle tombe sur un os très rapidement et sa mort me serait insupportable. « Obligation professionnelle, surtout. Je suis médecin légiste et on a besoin de moi ici, plus que jamais depuis que les meurtres ont lieu. Et puis... vous savez je suis né ici, je reste profondément attaché à cette ville malgré le sang qui y coule quotidiennement. C'est comme ça, je ne m'imagine pas partir. Ma sœur vit ici. Ma... enfin... j'ai aussi perdu un proche dans la tuerie, elle repose à Cascade Locks et jamais je ne pourrai m'éloigner, en la laissant là. Non, j'ai besoin d'être auprès d'elle. » Je me mordillais la lèvre, j’aurais mieux fait de me taire, je ne pouvais que sentir toute la tristesse qui prenait le dessus sur lui, sa voix tremblait et je passais donc instinctivement une main contre son épaule, ce n’était pas une preuve de pitié, je voulais juste qu’il comprenne que je le soutenais, perdre quelqu’un était très difficile, encore plus dans des circonstances brutales. « Excusez-moi ce n'est pas évident pour moi. Certaines plaies ne guériront tout simplement jamais. » Je répondais du tac au tac. « Ne vous excusez pas voyons, c’est tout à fait naturel. Et… J’y pense, vous pouvez me tutoyer ! »