Cette forêt, Adriel la connaissait par cœur. Peut être même mieux que son propre taudis de logement. Il faut dire qu'il y passait le plus clair de son temps, entre les fois où il y chassait dans le cadre de son emploi et celles où il s'y baladait simplement, plus par envie de tenter le diable qu'autre chose. En soi, il y avait relativement peu de risque qu'il puisse s'y perdre, lui qui avait en plus toujours été doté d'un certain sens de l'orientation. C'est donc le plus tranquillement du monde que le grand brun s'engouffra dans ces bois sombres et pas franchement rassurants, même pour quelqu'un comme lui. Ce froid de gueux ralentissait hélas le moindre de ses mouvements, mais le plus dérangeant restait ce brouillard des plus perceptibles qui l'handicapait relativement, dans la mesure où il n'y voyait présentement pas plus loin qu'à un mètre devant lui. Fort heureusement, son aptitude assez remarquable à se repérer aisément lui sauvait ici la mise : en se référant à la disposition de certains troncs qui, malgré ces conditions peu favorables, restaient relativement identifiables, il n'eut bientôt aucun mal à décréter qu'il se trouvait au début du chemin de randonnée. Cela n'était pas le coin de la forêt qu'il estimait connaitre le mieux, mais il se savait tout à fait capable de s'y aventurer malgré tout. Alors il reprit sa marche, pus activement, ne se laissant absolument pas décourager par ce vent froid et des plus désagréables, et ayant bientôt la joie de constater que le brouillard se dissipait à mesure qu'il s’éloignait de l'entrée des bois. L'obscurité, elle, se faisait pourtant plus intense. C'était même elle qui prenait ici le relais et l'empêchait à son tour d'y voir convenablement. Pourtant, et tandis que ses yeux alternaient entre de maigres feuillages et un sol peu fiable et assurément fourbe - nombre de gros cailloux s'y trouvaient, alors il avait tendance à faire particulièrement attention à là où il mettait ses pieds - il eut bientôt l'occasion de distinguer une silhouette lointaine. Et aussi loin se trouvait-il de cette personne, il n'était pas certain de savoir ce qu'elle lui inspirait. D'un coté, elle lui semblait quelques peu familière, au point qu'il l'ait tout d'abord confondu avec l'une de ses connaissances. Mais elle lui paraissait tout autant étrangère, inconnue au bataillon. Il en aurait bientôt le cœur net. En tous les cas, la jeune femme ne semblait pas rassurée. Il pouvait la voir s'agiter, noter les tremblements de ses membres et entendre sa voix s'élever faiblement, témoignant de l'angoisse qui devait être la sienne. « Y'a quelqu'un ? » Un tel spectacle ne put naturellement qu'amuser le jeune homme, décidément aussi disposé à faire preuve de compassion qu'une cuillère en bois. Et puis, il fut partagé entre l'envie de rester caché là pour admirer la décomposition progressive de cet être intriguant, ou prendre le risque de tomber dans un piège sournois mais bien pensé, en s'annonçant brutalement. Estimant au final qu'il était suffisamment grand pour assumer ce genre de choses, il fit quelques pas vers la jeune femme, qui lui tournait présentement le dos. Et puis, brusquement, il saisit son bras. « Non. » Cette réponse naturellement sarcastique faisant alors suite à sa question de tout à l'heure. L'humour d'Adriel avait toujours été discutable, oui. « T'es une vraie rousse ? » Une question aussi superficielle qu'inutile, si bien qu'il ne tarda pas à reprendre. « Oublie, je crois que je m'en fout. » Là, il dégaina son paquet de clopes, en alluma une qu'il fourra immédiatement dans son bec et en proposant par la même occasion vastement à la jeune femme. « Toi, t'as fugué de chez tes parents parce qu'ils t'avaient confisqué ta Nintendo DS, pas vrai ? » En soi, il s'en carrait comme de sa pointure de pieds. Le fond de sa pensée était alors tout autre. Parce qu'il voulait naturellement s'assurer de la majorité de la belle. Harcèlement sexuel, ça peut passer. Harcèlement sexuel sur la personne d'une mineure, déjà moins.

Adriel n'avait pas fait preuve d'une grande finesse en saisissant le bras de cette demoiselle d'une telle façon. Elle qui devait déjà être effrayée par la situation venait assurément d'avoir une belle peur. D'ailleurs, c'est ce qu'il put bel et bien constater lorsque la jeune femme se retourna et qu'elle se mit à hurler. Eh merde, il n'avait même pas voulu la mettre dans un tel état en plus. Clairement, il regrettait. Mais il regretta encore davantage lorsque la main de la rouquine vint frapper sa joue, non sans une certaine violence. Il en fut choqué et probablement sonné quelques secondes. Parce qu'il n'avait même pas imaginé qu'elle pourrait avoir ce genre de réactions. « Je... pardon. Réflexe. » Soit elle était particulièrement parano et elle l'avait pris pour un tueur, soit il y avait été un peu fort avec cette manière peu subtile de s'annoncer. Assurément qu'il y avait un peu des deux, là dedans hm. Quoi qu'il en soit, lorsque la jeune femme s'excusa, Adriel ne put que grimacer légèrement, sa joue se trouvant maintenant être endolorie et sa fierté un peu meurtrie. La pauvre souffrait beaucoup ces temps-ci, d'ailleurs. « Ouais bah, ils sont dangereux tes réflexes ... » Non, ça ne lui viendrait évidemment pas à l'idée de s'excuser également, ne serait-ce que pour avoir considérablement effrayée cette jeune femme. Parce que pour le coup, il ne pouvait en soi que s'en prendre à lui même, ayant récolté ce qu'il avait semé. Mais Adriel n'estimait pas avoir à se faire pardonner quoi que ce soit. Sans doute parce qu'il s'en foutait, en fait. Bon, la nana ne voulait pas d'une clope, et ça tombait plutôt bien, parce que ces conneries coûtaient de plus en plus cher et qu'Adriel pouvait difficilement se permettre d'en offrir à la première venue. Mais voilà que lorsque le jeune homme chercha à savoir ce que cette fille pouvait bien faire ici, toute seule, vu qu'un rien semblait généralement l'effrayer, celle-ci lui confia être venue prendre des photos. « Je venais prendre des photos. » Elle lui montra son appareil, il se mit à sourire. Lui, ça ne lui serait par exemple pas venu à l'esprit de photographier la forêt, mais soit, chacun y venait pour une raison. « Et c'est concluant ? » Là, il ne précisa même pas qu'il s'en foutait, parce qu'en soi, ça l'intéressait déjà plus que la couleur de cheveux de la jeune femme. Celle-ci se mit alors à le vouvoyer et là, il sentit un petit quelque chose se briser en lui. « Vous connaissez le chemin pour sortir de la forêt ? » Okay, ou pas. « Euh bah ouais, étant donné que j'y chasse tous les jours. Mais, comment dire, vu que tu viens de me donner l'impression d'avoir cinquante piges, je ne suis pas très certain d'avoir envie de t'aider. » Non mais ce "vous" allait lui rester en travers de la gorge, sérieusement. Il avait trente-et-un ans, merde, pas vingt de plus. Ou alors elle avait besoin de lunettes.