UN

La sonnerie retentit et tout le monde s'élance à l'extérieur. Tels des élèves d'école primaire, Tris et ses amis courent sur le béton en sautillant et en riant. Naïfs. Tellement naïfs. Ils ne s'attendent à rien de tragique, rien ne peut perturber cette belle journée qui a commencé. Le soleil brille, les oiseaux chantent, et la jeune femme du nom de Beatrice ne peut rêver de mieux. Sa vie est parfaite. « Hey Bea ! Attends moi ! » Elle se retourne en fronçant les sourcils. « Ne m'appelle pas comme ça ! C'est Tris, un point c'est tout ! » Mais finalement, elle éclate de rire en voyant arriver son petit frère. Elle a la chance d'être l’aînée d'une fratrie de quatre : deux filles, deux garçons. James est le plus proche d'elle en âge, et c'est ainsi qu'ils vont à la même école. Ils rentrent donc ensemble après cette dure journée de labeur, discutant de tout et de rien, comme les gamins qu'ils sont. Tris a quinze ans, est en pleine adolescence et c'est donc avec des gloussements qu'elle quitte ses amies en parlant de garçons. Il y en a un avec qui elle s'entend bien ces temps-ci et tout le monde veut qu'ils se mettent ensemble. Tris en rigole, mais elle n'en a pas du tout envie. Elle a toujours eu une relation spéciale avec les garçons, peut-être à cause de la trop grande affection qu'elle a en son père. Un psychologue analyserait ça mieux qu'elle. « Allez, à demain les filles ! » Elle s'engage dans une rue adjacente avec son frère et ils prennent leur goûter en marchant. Il ne leur faut que peu de temps pour arriver chez eux : ils connaissent Cascade Locks comme leur poche, habitant ici depuis toujours. Il y a quelque chose d'étrange, Tris le ressent, dès qu'elle arrive au portail. Elle sort sa clé et trouve la serrure déverrouillée. Échangeant un regard interloqué avec James, elle pousse le bois et court le long de l'allée en gravier qui mène jusqu'à la porte d'entrée. Là aussi, c'est ouvert. Elle pousse la porte et sa poitrine se serre, persuadée que quelque chose ne va pas. Ses pas se font lents, trop lents, alors qu'elle avance vers le salon où elle trouve assise sa mère, le visage enfoui dans ses mains. Deux hommes en uniforme de pompier se trouvent debout dans la petite pièce. « Non. » Tris est intelligente, il ne lui faut pas plus de deux secondes pour comprendre ce qui se passe. « Qu'est-ce qu'il y a Bea ? Qu'est-ce qui se passe maman ? » dit James en geignant. Elle pousse brutalement son frère et s'avance en direction de sa mère, s'accroupit devant elle et pose ses mains sur les genoux de sa génitrice. « Dis moi qu'il n'est que blessé. Maman, dis moi .. » Elle s'efforce de ne pas pleurer. Non, elle ne pleurera pas. Elle ne montrera pas de la faiblesse devant ses frères, sa sœur, qui sont à présent réunis dans la pièce. Elle les entend sangloter, mais elle bloque tout. Il ne faut pas se laisser atteindre, il faut rester forte. Car à présent, la figure paternelle, c'est elle. Elle doit porter le reste de la famille seule, s'occuper d'eux, ne plus se préoccuper d'elle même.

DEUX

Elle ne marche pas, elle court. Ses jambes la portent aussi loin qu'elle le veut, grâce à l'entraînement, et la joie qu'elle ressent en sentant la douleur dans ses membres, sa respiration s'accélérer, son cœur battre à tout rompre. Son bonheur n'est que plus complet quand elle sait vers quoi elle se rend, et dans cette situation, qui. Neo. Son frère, celui qui n'est pas de son sang, celui qu'elle aime de tout son cœur. Cela fait deux ans qu'ils se connaissent et elle ne peut mettre aucuns mots sur la perfection de leur relation. Elle ne croit pas au destin, et pourtant, elle se demande par quelle chance ils se sont tombés l'un sur l'autre un matin dans les bois. Et c'est ici même qu'elle se trouve à présent, évitant les branches qui pourraient lui fouetter le visage. Tris veut le surprendre, veut le tirer de ses rêvasseries habituelles en lui criant un « bouh » ou quelque chose de ce genre. Le sourire qu'elle porte au visage est annonciateur de ce qu'elle veut lui faire subir. Rien de méchant. Arrivant près de la clairière, ses pas se font plus lents, et elle finit par marcher, doucement, en essayant de ne pas faire craquer les feuilles sous ses baskets. Elle écarte quelques buissons et aperçoit Neo plus loin. Son sourire s'agrandit. Mais elle remarque qu'il n'est pas seul. Son sourire s'affaisse. Sa main rejoint sa bouche, étouffant le cri qu'elle aurait bien pu faire retentir si elle n'avait pas pensé à ce que cela impliquerait. Le rouge, le rouge sang, cette couleur qu'elle aime tellement, lui donne envie de vomir. D'ailleurs, elle se met à genoux et rejette son repas du midi, en essayant d'être la plus silencieuse possible. Elle se relève, et observe le spectacle. Sa petite amie, celle de Neo, dans ses bras, inanimée. Il l'a tuée. Et vite, elle reprend le contrôle de ses jambes et commence à courir le plus loin possible, loin de ce cauchemar. Elle se pince mille fois et laisse échapper des cris de colère, une fois assez loin pour que personne ne l'entende. Mais aucuns pleurs. Non, aucunes larmes sur son visage, tant qu'elle pourrait les empêcher. Neo. Meurtrier. Ces mots qu'elle n'aurait jamais pensé assembler, ne font maintenant plus qu'un.

TROIS

« Et voilà ! J'espère que la balade vous a plu ! » Elle lance un sourire à la bande d'adolescents qu'elle a emmené en randonnée avec leur professeur pour la journée, mais la plupart maugréent. Tris pousse un soupir et pose sa boussole sur le petit comptoir de l'office des forêts. Elle a fini sa journée, avec ses horaires toujours un peu aléatoires, et est prête à rentrer chez elle. Cela fait maintenant deux ans qu'elle vit seule, tandis que le reste de la fratrie vit toujours chez ses parents. Son désir d'indépendance était plus fort que tout. Elle commence à rentrer, ses clés faisant du bruit en tapant sur sa hanche. Elle est vêtue comme à son habitude d'un débardeur et d'un short kaki, des habits confortables pour ce qu'elle doit faire. Quand elle emprunte des chemins un peu plus épineux, elle porte un pantalon, mais les sentiers tracés qu'elle avait emprunté le jour même lui laissait libre choix de tenue. Il lui faut bien une heure de marche pour rentrer chez elle. En rentrant, elle s'affale dans le canapé et sort son téléphone portable qu'elle avait éteint pour la journée. Le nombre d'appels manqués et de messages la fait trembler. Elle n'est jamais autant demandée que lorsqu'il se passe un drame. Et ainsi, elle compose le numéro de sa messagerie et écoute le premier message. « Ma chérie .. Oh ma chérie .. C'est .. C'est .. » La voix de sa mère se casse, et est entrecoupée de sanglots. [color=indianred]« Baja. » Le nom de sa soeur la fait se redresser. Cela fait deux jours qu'elle n'est pas rentrée à la maison, et tout le monde pense à une fugue. Seulement, Tris sait bien que ce n'est pas ça. Que quelque chose de terrible est arrivé. « On l'a retrouvée, mais .. Elle est morte, Beatrice, elle est morte. Ils l'ont trouvée dans les bois, et .. Mon dieu, rappelle moi, je t'en prie .. » Tris entend le bip du répondeur et ne peut écouter les autres messages. Elle écarquille les yeux, sa gorge serrée, s'efforçant de ne rien laisser paraître de son désespoir. Mais encore une fois, son cœur se brise, se déchire, ne laissant qu'une plaie béante et sanguinolente.

Et si Neo était le responsable ?