SUGAR SLAUGHTER + FLUORESCENT ADOLESCENT.

Ses longs cheveux d’un blond doré sont doucement balayés par la brise nocturne de ces deux heures du matin. C’est presque une caresse, comme si tant de beauté pouvait inspirer à la nature même de la tendresse à son égard. Tous les gens qu’elle rencontre veulent entrer dans ses bonnes grâces, et ce depuis qu’elle est enfant. Elle est privilégiée, pourrie. Ses parents sont assez riches, et nul doute que la génétique a opéré des miracles quand il s’agit de sa figure. Tout lui vient facilement, elle n’a jamais eu à se battre pour quoi que ce soit. Et, pourtant, elle est d’une amertume sans limites, d’une rage et d’une tristesse sans fond.
Enfant terrible, elle était dotée de l’intelligence et de la perversité nécessaires à la plus artistique des expressions de son malaise. Vraiment, détruire en devenait une discipline olympique à ses yeux. Que ce soit les autres ou elle-même, elle aimait à consumer les choses jusqu’à ce qu’il n’en reste que des cendres. Elle ne savait même plus pourquoi. Il lui arrivait de penser qu’elle haïssait le monde entier, que chaque personne qu’elle brisait lui inspirait du dégoût et de la colère, mais ça n’était pas le cas. Pas pour Adriel en tout cas. Elle jouait avec lui, empoisonnait son existence, dans le seul but de le mettre à genoux. Autant par curiosité que par ennui. Elle voulait voir si elle en était capable, elle voulait voir jusqu’où elle pourrait le pousser. Une overdose ou un suicide, peut-être. Elle en rêvait secrètement, son orgueil avait été piqué au vif. C’était un jeu malsain, qui s’envenimait à chaque seconde, à mesure que sa curiosité se transformait en obsession. Elle le réduirait en miette, le casserait en mille morceaux, quoi qu’il lui en coûte. Elle en était certaine.
La musique retentit, inonde les rues, inonde la place. Les rires et les cris s’y noient, les gens dansent. Leurs gestes sont saccadés, et elle est profondément agacée. Excitée, aussi. L’idée que le ou les tueurs puissent être parmi eux à ce moment même, guettant une prochaine proie, ça la rendait toute chose. Elle avait un peu peur, comme tout le monde sans doute. Ces jours-ci, elle ne pouvait penser à rien d’autre. Cette fascination pour la mort, ce désir morbide d’être la prochaine victime. Une profonde pulsion suicidaire enduite de voyeurisme et de sensationnalisme adolescent. Elle se sentait conne. Soudain la lumière jaillit, et elle arrêta de penser. Son visage à l’exacte symétrie se figea, éclairé de différentes couleurs. Le bruit sourd retentit, et le ballet commença : des explosions étincelantes, déchirant le ciel. Les hurlements s’élevèrent, enthousiastes. C’était splendide. Ces gerbes de lumières rouges, bleus et vertes, qui faisaient de l’ombre aux étoiles. Cascade Rocks était une ville plutôt festive, les feux d’artifice n’étaient pas rares et, pourtant, elle ne parvenait pas à se souvenir de la dernière fois où elle en avait vu un.
L’agitation était intense, et elle était poussée de toutes parts, écrasée contre les corps hystériques d’imbéciles de son âge. Des yeux sales se posaient sur sa robe trop courte, trop voyante. Elle se sentait seule et perdue, jusqu’à ce que son regard croise celui d’Adriel. Saoul et triste, comme à son habitude. Elle n’hésita pas plus et se dirigea vers lui en affichant son sourire le plus charmant : « Adriel ! ». Elle glissa sa main sur son épaule et lui embrassa la joue avec une délicatesse perverse, un air de poupée sur le visage. L’ai trop heureuse, trop gentille. Il allait prendre cher ce soir. « Viens, je ne m’entend pas. ». Avec un naturel déconcertant, elle attrapa sa main et l’attira vers une ruelle adjacente, visiblement plus calme. Ils pénétrèrent dans la pénombre, et le bruit de la musique et de la foule s’atténua un peu. Sans attendre, elle tira un petit sachet de plastique de la poche de sa veste de cuir. Elle en extirpa une gélule rose qu’elle glissa sur sa langue, puis une autre qu’elle lui posa dans la main. « Prêt à vraiment faire la fête ? ». Eméché comme il était, prendre des acides était un pari dangereux. Mais s’il y avait quelque chose dont elle ne doutait pas, c’était qu’Adriel était passé expert au jeu de la roulette russe. Il avait le pistolet au poing, il ne lui restait plus qu’à presser la détente et tenter sa chance, juste pour voir.

Tout ce monde autour de lui le désespérait. Il ne supportait pas la foule, tout comme il ne supportait pas ce vacarme incessant. Mais il ne savait à vrai dire même plus pourquoi il était là. Il savait simplement qu'il s'était mis à boire, tôt dans la nuit, et qu'il se trouvait présentement dans un état assez critique. Complètement saoul, comme il ne l'avait d'ailleurs plus été depuis un certain temps, le jeune homme laissait son regard dépourvu de toute émotion, de toute vie aussi, se poser sur ceux qui l'entouraient. Des gens qui dansaient, qui riaient, qui chantaient, qui criaient, qui vivaient. Et lui, il se sentit comme mort, autant parce qu'il était toujours aussi décalé et incapable d'agir comme les autres, que parce qu'en buvant autant, il avait cherché à dépasser ses limites, à flirter avec la trépas. On le bousculait et il ne sentait rien, ni ne bronchait. En temps normal, il ne se serait pas priver de réagir. Mais là, il en était bien incapable. Comment le pourrait-il, après tout, puisqu'il ne contrôlait plus tellement ni son corps, ni son libre arbitre. Il était simplement capable de constater qu'il avait merdé en ingurgitant autant d'alcool, mais également que s'il ne s'était pas rendu ici en solitaire, quelqu'un aurait peut être pu lui venir en aide. Là, il était seul. Désespérément seul. Et il en était triste. Infiniment triste. De n'avoir jamais personne avec qui partager ce genre de beuveries, ou jamais personne pour les contrôler. Sa solitude semblait le narguer. Mais sa solitude se trouva bientôt troublée par l'arrivée d'une demoiselle qu'il connaissait bien. Une demoiselle qui le salua, l'embrassa sur la joue et ne tarda pas à l'attirer dans un endroit plus calme, mais aussi plus sombre. Un endroit qu'il reconnaissait, pour s'y être déjà rendu à quelques reprises. Avec elle, d'ailleurs. Car il avait ici à faire à Morgana, une jeune femme avec qui il se plaisait bien souvent à dépasser certaines limites, à se mettre en danger. Et tandis qu'il la vit bientôt sortir un sachet de petites gélules, il en vint rapidement à la conclusion qu'elle lui préparait quelque chose de fort pour ce soir. Et il avait hâte d'en faire l'expérience, évidemment. Parce que dans son état, il était bien incapable de penser que cela pourrait lui faire le moindre mal. Il avait beau se sentir vidé, il ne s'en sentait pas moins invincible pour autant. C'était ça, au fond, le plus grand danger de l'alcool : croire que rien de véritablement grave pouvait nous arriver. Doucement, il l'imita, ingurgitant la cellule qu'elle venait de lui délivrer et lui adressant un sourire bien bête, bien naïf. S'il la savait sadique et imaginative, il ne se doutait pas nécessairement qu'elle pouvait véritablement lui vouloir du mal. Du moins, cette partie de lui l'ignorait. Car l'Adriel censé et méfiant avait présentement laissé place à quelqu'un de beaucoup plus crédule, de beaucoup plus faible aussi. Hochant doucement la tête aux paroles de la jeune femme, il s'avança ensuite vers elle, l'air perdu, mais plutôt déterminé. Et puis il l'embrassa, sans contenir sa fougue, son impulsivité. Ses lèvres s'emparèrent des siennes grossièrement, tandis que son corps plaqua celui de la jeune femme contre le mur, sans le moindre ménagement. Il se sentait si fort et si fragile à la fois. Il était empreint à des sentiments si ambivalents qu'il en était presque effrayé. Pour autant, il ne cessa pas d'exprimer ses folles envies, son implacable désir, à travers des baisers fiévreux, des caresses équivoques. Mais il en fut bientôt essoufflé. Sa tête tournait déjà depuis un bon moment, mais il avait préféré l'ignorer. Il crut avoir envie de vomir, mais cela lui passa en quelques secondes. Son palpitant s'accéléra alors dangereusement, si bien qu'il dut se retenir à l'aide d'une main posée contre le mur pour ne pas s'effondrer sur Morgana. Il ne l'embrassait plus et se contentait maintenant de l'observer. « Frappe-moi » articula-t-il alors, dans un état second, à la limite du malaise et assailli de diverses émotions. Il ne savait pas pourquoi, mais il fallait qu'elle le frappe. Fort et longtemps. Il l'en savait capable. Et il avait tendance à penser qu'au point où il en était, elle pouvait bien marquer davantage son emprise sur lui.