« Cascade Locks ? » D'un geste de la tête, elle acquiesce. Jolie poupée au regard fatiguée, elle dépose ses lèvres contre la cigarette qui couverte par la pluie cherche le moyen de s'éteindre. La fumée s'échappe puis disparaît. La pluie avale la fumée. « Il fait pas beau par ici. » Elle affirme et je me met à rire. « C'est pas à Cascade Locks que vous allez trouver le bon temps ma petite dame ! » Elle pose sur moi un regard brisé, comme un vase dont on déposerait devant moi les milles morceaux. Elle fuit quelque chose mais j'ignore quoi. Alors à ses côtés sous l'abri bus, je dépose mon sac de course. Du pain et de quoi faire la soupe pour le dîner. J'aime les gens perdus. Pourtant elle, je l'ai déjà vu, et elle avait rien d'une gamine perdu. C'était il y a pas bien longtemps, au milieu du marché. Y avait ce garçon a la guitare, et elle qui chantait en souriant. Ils refusaient les pièces des passants. Alors les passants s'arrêtaient pour les regarder. Enfants sauvages ou juste libérés. Je ne me souviens pas d'elle mais seulement de son visage. Elle était jolie. Alors que là, sous la pluie, elle n'est plus belle. « Pourquoi vous allez là bas ? » Elle hausse les épaules. Je connais Cascade Locks. C'est étrange comme destination pour une jeune fille de son âge. Les autres partent sur des îles perdues au milieu de l'océan. Et les autres ne parlent pas seules. Et puis, comment on fait pour ne pas savoir pourquoi on part ? On est idiot ou alors on part le plus vite possible. Je suis témoin d'une fugue, maintenant j'en suis certaine. Mais je ne sais pas quoi faire. Appeler la police ? Sur le banc, je resserre mes doigts contre la poignée de mon sac. On sait jamais. C'est peut être une voleuse. Alors elle bouge, elle s'agite, pose la main contre son ventre, et finalement, elle se lève pour aller jeter dans la poubelle son mégot qui a finit par l'abandonner. Alors je reconnais la princesse de mon souvenir, celle qui chantait. Elle est pas bien grande, mais finalement, si, elle a quelque chose de jolie. Son sac sur les épaules, elle sort de sa poche quelques pièces de monnaie, alors qu'au loin, la silhouette imposante du car se dessine. « Vous attendez le bus ? » Parce que maintenant on parle de bus, plus de cars. A mon tour, agrippant mon sac, je quitte le banc. « Oh vous savez, je suis pas bien courageuse moi ma jolie. Je mourrais bien assez tôt, pas besoin d'aller à Cascade Locks pour tenter le bon dieu ! » C'est la première fois qu'elle me regarde, ses grand yeux posés dans les miens. Et c'est mon tour d'être perdue. Je sais pas si j'y lis de la surprise, de l'angoisse, ou tout autre chose. Alors je m'échappe, et je fouille au milieu de mon sac de courses, je cherche une pomme que je lui tend. Parce qu'elle est pas bien grosse Blanche Neige, avec son corps tout plat qu'on dirait presque un garçon. Le bus s'arrête en grognant, et sur ses lèvres à ma poupée, y a une sourire qui se dessine alors que ses doigts se resserre délicatement contre le fruit. Dis moi princesse, ils sont au courant tes parents, que tu t'évades ? Elle se retourne et je me dis que ça ne me regarde surement pas, que mon mari, il doit avoir raison, que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Alors je m'éloigne en clopinant alors qu'elle disparaît dans la carcasse de métal. J'ignore qui elle était.

« Bentley ?! Dis moi où t'es bordel ! Je te jure, je vais te retrouver. Tu partiras pas comme ça. » Sur le répondeur, la voix est de plus en plus forte, menaçante, alors que les doigts de la jeune fille pianote sur le téléphone. La voix s’éteint. « Message supprimé ». Silence. « Ma chérie c'est maman, je voulais seulement savoir si tu préfère un rôti ou du poulet pour dimanche midi ? Ton père te passe le bonjour. Je t'embrasse. » Cette fois ci, elle glisse le téléphone dans la poche de son manteau, celle située au niveau de la poitrine. Le moteur du bus grogne, montre son mécontentement, et finalement, démarre. Destination, ailleurs.