C’était une très belle journée d’été.
C’était dans la petite ville de Rockville, Connecticut.
C’était le 23 juillet 1984.
C’était le jour de ma naissance.
C’était le jour où ma mère mourra.

Mon père m’éleva seul, dans sa petite maison. Ses parents habitaient encore en Écosse, il était immigrant, et était venu en Amérique après avoir rencontré ma mère et tombé amoureux d’elle. Au départ, il voulait retourner en Écosse avec moi, mais n’arrivant pas à quitter la maison où ma mère avait grandi, il décida de rester.
Il regretta cette décision toute sa vie.

J’ai grandi seul, sans aide de personne. Mon père me parlait rarement, juste pour me dire de faire mes tâches ou me demander si mes notes à l’école étaient acceptables. Ça a toujours été important pour lui, les notes. Bref, tout le monde dans la petite ville savait que j’étais le fils de Marie Smith, celle qui était morte le 23 juillet en accouchant de moi. Alors tout le monde m’évitait. La seule chose qui me permit de passer à travers mon adolescence fut le piano. C’est en écoutant la pièce Claire de Lune de Débussy par hasard que je tombai en amour avec cet instrument. Il y avait un vieux piano à l’école que personne n’utilisa, il n’y avait même pas de professeur de musique pour m’enseigner. J’ai tout appris la pièce à l’oreille. J’ai demandé à ma voisine qui jouait du violon de m’apprendre à lire des partitions, au début elle ne voulait pas, me trouvait bizarre, puis finalement prit pitié de moi et m’enseigna. Je passais tout mon temps sur le vieux piano poussiéreux de l’école. Pour mon quinzième anniversaire, mon père m’offrit un piano. Je ne crois pas avoir déjà été aussi heureux de toute ma vie. Le même piano se trouve encore dans ma maison aujourd’hui.

Je suis allé à l’Eastern Connecticut State University pendant deux ans. J’y ai étudié la musique. Mon père eut un cancer et j’ai décidé de retourner à la maison pour être plus près de lui. Il est mort alors que j’avais vingt-quatre ans. J’ai déménagé à New York, n’en pouvant plus d’être dans une petite ville où tout le monde me connaissait et avait pitié de moi. J’ai travaillé comme serveur, barman, même concierge un peu. Je crois que c’est à ce moment que j’ai découvert que j’étais gai. Découvert est peut-être un grand mot, puisque je le savais avant, mais je refusais de l’admettre. C’est à New York, après la mort de mon père, que j’ai enfin pu m’avouer la vérité. J’ai couché avec quelques gars, cette année-là, pas tant que ça, mais tout de même. D'ailleurs, je n'en ai jamais vraiment parlé à personne, à part Alice... Bref, j’ai détesté New York. Après seulement deux ans, je n’en pouvais déjà plus. L’ambiance des petites villes me manquait, alors je pris une carte des États-Unis et lançai un dart. Il atterit sur Cascade Locks. Et me voilà.