Ses mains sont encore pleines de sang. Il coule à flot entre ses doigt, dégouline et s'écrase contre le sol dans un bruit monstrueux, répugnant, écœurant. Il se rue vers la salle de bain, ouvre le robinet, essayant vainement d'enlever cette couleur pourpre qui s'incruste sur sa peau. L'eau coule, doucement, il frotte, frotte encore et encore, cherche le savon, paniqué, mais rien ne l'enlève, rien y fait, ça reste comme collé à lui. Il en vient même à se griffer le dos des mains en chouinant, implorant pour que ça s'arrête, priant pour que le sang parte enfin. L'eau si claire, translucide, devient rapidement rouge, presque visqueuse. Sa bouche s'ouvre en grand, il écarquille les yeux en tombant à genoux dans une flaque de sang. Du sang partout. Tout autour de lui, sur lui, partout. Vient des murmures, des échos lointains, parfois inaudibles, d'une voix féminine qu'il connait bien. Soudain, il se met à hurler. Pas de son. Aucun bruit. La peur, l'angoisse, la panique. Il est seul, entouré de sang et ne peut même pas appeler à l'aide ou crier son désespoir. Seul. Pour toujours. Avec ses remords.



Bruce se réveilla en sursaut, tremblant. Il regarda tout autour de lui, ne reconnaissant même plus sa propre chambre, perdu et désorienté. D'un revers de main, il s'essuya le front, la sueur coulant à flot sur son visage. Ses vêtements et ses draps étaient trempés. Le souffle court, il déglutit avec beaucoup de difficulté avant de réaliser que ce n'était qu'un énième cauchemar. Lui qui pensait avoir la conscience tranquille après toutes ces années, il se rendait compte que finalement, ses démons et autres fantômes finissaient par revenir le hanter. Il agrippa les draps et tourna la tête, regardant la place vide à ses côtés. S'il y avait bien une chose qu'il détestait, en plus de faire des cauchemars comme un gosse de cinq ans, c'était de se réveiller seul. Lorsqu'il effleura l'oreiller à côté du sien, il constata qu'il était froid. Glacé. Seul et froid. Il siffla, balayant la couette brutalement avant de se lever et de rejoindre la salle de bain. Son regard croisa le miroir au-dessus du lavabo.

«  - Quoi ? Qu'est-ce que tu veux connard ? ».

Il s'était toujours trouvé beau, attirant, charmant, le genre de mec pour qui les filles se battaient au lycée ou mouillaient en le voyant traverser les couloirs. Quaterback, populaire, beau gosse et en plus de cela, pas con du tout. Ouais, le mec presque parfait, le prince charmant des contes de fée. Il avait passé des heures à se sculpter, face à ce miroir qu'il adorait, touchant son corps, l'appréciant, jouant avec, le connaissant par cœur. Il s'aimait. Désormais, son reflet le dégoûtait. Il serra les dents et cracha sur le miroir en jurant. Pathétique enfant prodigue, petite merde qui aurait dû s'en sortir. Il se tirait vers le fond tout seul. Il s'enfermait dans sa petite coquille tout seul.

Il n'avait jamais eu besoin de personne pour merder. Quelle petite fiotte. Il ne se supportait plus. Son poing s'encastra dans le miroir, le brisant en son centre. La douleur avait été annihilée par la colère, la rage de n'être qu'une pauvre tapette. Il méritait mieux, pourtant. Il pouvait avoir mieux que cette vie. Mais c'était trop dur, trop chiant, trop épuisant. Il jalousait son frère qui lui, avait réussi là où lui avait échoué. Son poing saignait, la douleur arrivait progressivement. Il voulait se souvenir de cette douleur. Il voulait s'en souvenir pour s'en servir lorsqu'il se sentirait aussi minable qu'en ce soir. Parce qu'il ne devait pas se sentir minable. Il ne l'était pas. Un sourire se dessina alors sur ses lèvres, regardant ses multiples reflets dans le miroir brisé. Il était fort, bien plus fort que ça. Tout le monde devait voir à quel point le petit adolescent avait grandi, qu'il était devenu homme, qu'il savait exactement ce qu'il voulait. Il voulait oublier cette nuit-là, dans les bois, avec eux, avec elle. Il voulait aller de l'avant, continuer son petit job d’entraîneur au lycée. C'était simple et c'était ce que tout le monde attendait de lui. On attendait aussi de lui qu'il trouve enfin une jolie fille stable avec qui se ranger. C'est ce qu'il ferait sûrement, dans quelques années, histoire de donner le change, qu'on ne pose plus de questions. C'est ce qu'il ferait, oui. Son sourire s'accentua, les cauchemars paraissaient loin, désormais. Il passa sa langue sur son poing. Il n'y avait plus à s'inquiéter, les morts, les ragots ne refont pas surface aussi facilement. Ce qui est mort reste mort après tout.

Pas de remords.