Get acquainted around grated carrot ∞ ELLA-MAY.

► PSEUDO

W/ ELLA-MAY
HÔPITAL, RÉFECTOIRE

Ce midi encore, le docteur Young allait avoir pour partenaire de déjeuner Ella-May Barton, qui contrairement à lui ne travaillait pas comme médecin légiste mais comme directrice du service de chirurgie pédiatrique, soit dans un tout autre service que celui dans lequel il officiait. Et pourtant, nombreuses étaient les fois où ces deux-là étaient amenés à déjeuner ensemble. Au départ, rien ne les disposait à partager la même table au réfectoire. Mais un beau jour, la belle rousse a décidé de prendre place à celle où Shen-Kome était assis, seul. Pour lui c'était une habitude, manger seul. D'ailleurs, le corps hospitalier le savait et personne, avant Ella-May, n'avait osé s'assoir à ses côtés. Ce tournant inattendu qu'avaient pris les choses ne le dérangeait au final pas plus que ça. Mais il se rendait compte qu'il ne savait pas grand chose de sa consœur, tout compte fait. Bon, il connaissait certains de ses goûts en matière d'alimentation après avoir eu l'occasion de l'observer, mais point d'avantage. Leurs conversations à table étaient diverses et variées. Parfois, ils évoquaient le temps, d'autres fois l'interne en cardio qui faisait mal son travail... mais certains sujets, comme la tuerie de Cascade Locks ou leurs petites vies, n'avaient encore jamais été évoqués. Ou alors très, très brièvement. Louchant sur l'assiette qu'il avait devant lui, Shen-Kome reporta par la suite le regard sur Ella-May, avec toujours cette même hésitation dans sa voix, et dans ses yeux. Il prenait difficilement la parole d'ordinaire, mais là, il ne pouvait pas toujours laisser la jeune femme entamer la conversation. Qu'allait-elle penser de lui sinon... « C'est quand même pas tous les jours qu'on a des carottes rappées en entrée. » D'accord, cette amorce n'était pas terrible mais c'était un début. Et puis, dans le fond, il n'avait pas tort. L'hôpital semblait avoir revu ses menus car depuis sa prise de fonction en ces lieux, il n'avait pas souvent eu la possibilité d'opter pour des carottes rappées en entrée. Bref, c'était sans grand intérêt. Et il semblait évident qu'il ne pourrait pas axer leur conversation sur cela plus longtemps. « Ella-May... on ne sait rien l'un de l'autre. Enfin, quasiment rien si je puis dire. » C'était délicat, tout de même, de lui demander de lui parler d'elle comme ça, autour d'un verre d'eau et d'un plat de lasagnes. « Tu travailles en pédiatrie alors, hum... tu as des enfants, peut-être ? Ou bien tu souhaites en avoir ? » Il avait un peu l'impression de se montrer indiscret, mais il espérait quand même ne pas la froisser d'une quelconque manière. Lui, tout ce qu'il souhaitait aujourd'hui, c'était faire connaissance. Katsue lui avait demandé de s'ouvrir aux autres, alors c'est ce qu'il essayait de faire, malencontreusement sans doute, mais en faisant preuve avant tout de bonne volonté. Mais là, il s'aventurait sur un sujet qui lui était particulièrement douloureux, et qui le replongeait brutalement deux ans en arrière. Amasa, leur enfant... Il aurait mieux fait de se taire.

BITTERSWEET ∞

Je sors de la salle de consultation et me lave soigneusement les mains. J'ai vu tellement de gosses qui toussent et reniflent aujourd'hui que si je ne suis pas clouée au lit la semaine prochaine, c'est que je suis vraiment née sous une bonne étoile. Non, en fait oubliez. Foutaises. Moi? Sous une bonne étoile, la bonne blague... Disons simplement que mes défenses immunitaires sont excellentes ! D'un pas léger, je me dirige vers le réfectoire de l’hôpital, c'est l'heure de ma pause et je commence à avoir réellement faim. En plus, il faut que je reprenne des forces, j'ai une opération importante cette après-midi, et de surcroît, c'est sur Harry, un petit garçons que je suis depuis un bout de temps déjà. Machinalement, je suis le chemin que j'emprunte tous les jours à la même heure, et reproduis les mêmes gestes. Un plateau contenant un bol de carottes rappées, un steak frites et une pomme dans les mains, je m'installe à ma table habituelle, celle que je partage tous les midis avec Shen-Kome Young, médecin légiste. Voilà maintenant un bout de temps qu'on mange ensemble. Enfin, ensemble est un bien grand mot. On est plutôt juste assis à la même table. Il n'est pas très bavarde, et je n'aime pas être embêtée, alors ça nous va plutôt bien à tous les deux. On échange quelques mots, de temps en temps, histoire de faire croire que nous avons une vie sociale, mais ça s'arrête là. Au final je me suis prise d'affection pour lui... c'est vrai, il n'est pas méchant, il a l'air d'avoir un bon fond et franchement, il n'est vraiment pas chiant. En plus, j'ai l'impression d'être ce qui se rapproche le plus d'une amie pour lui, dans cet hôpital. Vous imaginez la responsabilité? Le pauvre, s'il avait eu le choix, je suis certaine que j'aurais été la dernière sur la liste. « C'est quand même pas tous les jours qu'on a des carottes rappées en entrée. » J'étouffe un petit rire. C'était la pire phrase pour débuter une conversation de l'histoire de l'humanité, mais c'est pas grave... C'est vrai... Mais j'suis plus enthousiaste à l'idée de manger le steak-frites, personnellement ! Si ça avait été quelqu'un d'autre, j'aurais probablement lancé une pique affreusement méchante ou sarcastique, mais c'est différent, avec Young. « Ella-May... on ne sait rien l'un de l'autre. Enfin, quasiment rien si je puis dire. Tu travailles en pédiatrie alors, hum... tu as des enfants, peut-être ? Ou bien tu souhaites en avoir ? » Un noeud dans la gorge je réponds : Commence déjà par m'appeler Ella, ou Maya... ! Et pour répondre à tes questions, non je n'ai pas d'enfants, et non, je ne veux pas en avoir. Par pitié ne pose pas de questions. Pitié, pitié, pitié ! Et toi?

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Le docteur Young n'était pas des plus à l'aise quand il lui fallait entamer une conversation. Et cela devait se voir. D'ailleurs, il craignait de ne passer pour un type franchement ridicule aux yeux de sa consœur, devant qui il s'extasia presque d'avoir pour entrée des carottes râpées ce midi. Dommage pour lui, cette réplique la fit rire, ce qui le laissa alors penser qu'elle se moquait très certainement de lui. Il était comme ça, Shen-Kome, il lui en fallait peu pour s'imaginer qu'on se payait sa tête. Ce n'était peut-être même pas le cas, avec un peu de chance Ella-May était juste amusée, mais pas un instant cette idée lui traversa l'esprit. Pour lui, c'était évident, il allait prochainement être la risée de tout l'hôpital pour avoir osé exprimer son opinion quant au menu du jour. « C'est vrai... Mais j'suis plus enthousiaste à l'idée de manger le steak-frites, personnellement ! » S'il l'avait pu, Shen-Kome se serait enfoui la tête dans ses lasagnes, ou n'importe où, du moment que cela lui aurait permis de ne plus être visible par sa collègue. Parce que là, il se sentait idiot, et pas qu'un peu. Étrangement, il avait perdu en confiance en même temps qu'il avait débuté sa dépression. Peut-être que l'un n'allait pas sans l'autre, bah sait-on jamais... « Ah, heu, d'accord... C'est bon à savoir. » Oui enfin, pas sûr qu'une telle information puisse lui permettre de mieux cerner la jeune femme à qui, l'instant d'après, il exposa clairement le fait qu'ils ne se connaissaient pas tellement l'un et l'autre. C'était aussi une façon de lui dire qu'il désirait apprendre à la connaitre. Enfin, le désirer, pas tellement... Disons plutôt que c'était vivement recommandé dans son cas, se faire des connaissances, et s'il n'avait pas de quoi faire un résumé à sa sœur ce soir, celle-ci risquait de le réprimander une fois encore, en lui reprochant de ne pas assez faire dans le social. Alors voilà, il essayait de le faire, mais ça n'était pas évident pour un type comme lui, qu'on se le dise. « Commence déjà par m'appeler Ella, ou Maya... ! Et pour répondre à tes questions, non je n'ai pas d'enfants, et non, je ne veux pas en avoir. » En l'espace de quinze petites secondes, Shen-Kome avait pu apprendre deux choses sur sa collègue : premièrement, il avait tout intérêt à l'appeler Ella ou Maya à l'avenir. Ensuite, elle n'avait pas d'enfants, et ne projetait pas non plus d'en avoir. Bien. Il tenta d’emmagasiner tout ça lorsqu'elle reprit. « Et toi? » Il devait s'y attendre, il ne pourrait pas y échapper non plus. Avalant sa salive, il prit par la suite un certain temps avant de répondre, tout simplement parce que pour lui, ce n'était pas facile de parler de ça. « Non non, je... n'ai pas d'enfants. » Mais il omettait, volontairement bien sûr, de lui confier qu'il avait bien failli en avoir un, mais que le destin en avait décidé autrement. Peut-être pourrait-il le lui avouer lorsqu'ils se connaitraient mieux, mais pour l'heure, ce n'était ni le lieu, ni le moment. « C'est... étrange tout de même de travailler en pédiatrie et de ne pas vouloir d'enfants. » Par ailleurs, il comprenait parfaitement le choix d'Ella et le respectait. Bien que ceci l'intriguait, surtout qu'il l'avait sentie aussi gênée que lui au moment de répondre. « Il y a une raison à cela ? » Shen-Kome était du genre bizarre. Il ne voulait pas qu'on lui pose certaines questions, mais n'hésitait pas à les poser en retour. Pourvu qu'elle ne lui en tienne pas rigueur de vouloir en savoir d'avantage.

BITTERSWEET ∞

Ce n'est pas que le courant ne passe pas entre Shen et moi... Mais disons qu'à priori nous ne sommes pas ce qu'on pourrait appeler des âmes soeurs... Et même sans entrer dans le domaine amoureux... Disons simplement que la seule raison pour laquelle on pourrait nous apparenter à des amis est le fait que nous nous tolérons, que nous ne nous faisons pas chier mutuellement. C'est déjà un bon début, non ? Pour moi ça l'est, déjà...
Il met un long moment avant de me dire qu'il n'avait pas d'enfants. Je vois très bien dans ses yeux, dans son attitude, -enfin, je vois bien quoi- qu'il ne dit pas tout à fait la vérité. Par pudeur, et par respect, je ne le soulève pas. Et puis, il faut se l'avouer, je m'en fous totalement... Mais bon, disons que c'était par pudeur et par respect. Ça fait mieux, vous ne trouvez pas ? Vous avez remarqué l'effort que je fais pour être politiquement correcte? C'est fou, ça ne me ressemble pas... Ce soit être l'effet Shen, je ne sais pas. En tout cas, on veut l'ancienne Maya, et vite ! « C'est... étrange tout de même de travailler en pédiatrie et de ne pas vouloir d'enfants. » Je réponds immédiatement : Au contraire, c'est plus fréquent qu'on ne le pense... Je t'assure ! J'allais replonger dans mon mutisme et me reconcentrer sur mon cas, mais... « Il y a une raison à cela ? » Je soupire doucement, puis réponds, en haussant les épaules : Je suppose que quand tu es pédiatre tu sais de quoi tu ne seras jamais en mesure de protéger tes enfants... Tu as beau être le meilleur parent au monde, la santé est incontrôlable. Et quoi de pire que de perdre son enfant... Quoi de pire que de perdre quelqu'un tout court. J'ai déjà vécu ça avec mes parents, mon frère et une de mes soeurs, je refuse de risquer ça encore une fois. Et puis, une fille, c'est presque comme si j'en avait déjà une. Il n'y a qu'à voir combien je tremble quand Alex a ne serait-ce que 10 minutes de retard... Presque malgré moi, mes lèvres laissent échapper un : Et toi ? Y'a une raison? Merde Maya, tu en deviendrais presque polie... J'espère que ce Young est flatté, ça n'arrive pas à n'importe qui !

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HÔPITAL, RÉFECTOIRE

Shen avait un peu de mal à comprendre comment et pourquoi une pédiatre de l'âge d'Ella ne semblait pas ressentir le besoin de devenir mère. Il pensait naïvement que ce choix de carrière pouvait résulter d'une envie de côtoyer de jeunes enfants au quotidien, et donc de fonder une famille. Bref, cela l'étonnait. « Au contraire, c'est plus fréquent qu'on ne le pense... Je t'assure ! » Il était parfaitement disposé à la croire. Il ne connaissait pas ses raisons, mais cela semblait être une décision pleinement assumée. Ella poursuivit. « Je suppose que quand tu es pédiatre tu sais de quoi tu ne seras jamais en mesure de protéger tes enfants... Tu as beau être le meilleur parent au monde, la santé est incontrôlable. » Ce que rétorqua la flamboyante rouquine heurta profondément Shen, bien que ce dernier tenta de le cacher. Il se sentait quelque peu concerné, puisque lui-même avait perdu un enfant. Un enfant qu'il n'aurait d'ailleurs jamais connu, et dont par ailleurs il n'avait toujours pas fait le deuil. « Oui je comprends. » laissa entendre Shen, d'une voix basse, presque dans un murmure. « Et toi ? Y'a une raison ? » Une raison au fait de ne pas avoir d'enfants à trente-trois ans passés ? Pour sûr. Et Shen savait qu'il ne pourrait esquiver cette question que venait de lui poser Ella. Aussi, il ne répondit pas instantanément, car ça n'était pas évident pour lui d'évoquer ce qui allait suivre. Ella n'avait probablement pas connaissance des évènements qui avaient meurtri le jeune légiste. Si la majorité des habitants le savaient solitaire et reclus, ses malheurs n'avaient pas non plus fait la une des journaux. Posant sa fourchette sur son plateau, Shen reprit. « Si un chauffard n'avait pas pris la route avec un taux d'alcoolémie supérieur à ce qui est autorisé pour prendre le volant il y a deux ans de cela, je serais papa à l'heure actuelle. » Et à ses mots, Shen sentit sa gorge se serrer et lui faire brutalement mal, comme lorsqu'il se retenait de pleurer. C'était très douloureux à admettre, se dire que par deux fois le sort avait frappé ceux qu'il aimait. D'abord cet innocent enfant qui ne verrait jamais le jour, puis celle dont il était resté éperdument amoureux et qui était tombée entre les mains d'un tueur sans pitié. Incapable de poursuivre son repas, Shen demeura silencieux plusieurs instants, avant de reprendre. « ... Je ne le serai sans doute jamais. » Il partait du principe qu'il était incapable d'aimer à nouveau, mais également de plaire à quiconque. Pour lui, c'était évident, il finirait sa vie seul, cloitré chez lui, à s'isoler chaque jour d'avantage. Le passé était loin d'être derrière lui. Il le hantait toujours. Ses yeux devinrent larmoyants, mais il faisait en sorte de se contenir. Pas question de craquer ici, en plein réfectoire, et encore moins devant Ella. Il était bien trop pudique pour laisser libre cours à ses émotions de la sorte.