~He broke your heart,
he took your soul ~
douze heures trente.

Ce ciel, Adriel ne l'aimait pas. Il annonçait un truc moche. Soit de l'orage, soit une violente pluie. Une chose était alors certaine, il ne ferait pas bon se trouver dehors au moment où le temps tournerait mal. Mais à cet instant précis, l'on pouvait encore percevoir quelques vagues éclaircies et il faisait même relativement doux pour un mois de janvier. C'est en tout cas en cette fin de matinée que le jeune homme s'était rendu au marché. Oui, au marché. De base, il n'aimait pas ce genre d'endroits, parce qu'on y croisait toujours plein de monde - trop de monde, en fait - et qu'il ne trouvait jamais rien d'intéressant. En fait, la plupart du temps, il ne prenait même pas la peine de regarder les stands. Ce qu'il faisait à la place ? Et bien, il laissait plutôt son regard se balader sur les vendeuses, mais aussi les clientes, captant tantôt quelques regards intéressés, tantôt quelques œillades désapprobatrices et menaçantes de la part de maris jaloux. Le pire, c'est probablement lorsqu'il n'avait pas le moindre retour, mais heureusement pour son égo, c'était relativement rare. Ce qui l'était tout autant, c'était qu'on se permette de le regarder lui comme un morceau de viande. Et justement, il avait cru apercevoir une petite blonde l'observer avec tant d'intensité qu'il s'était senti capable d'en rougir. Il faut dire qu'il n'avait pas l'habitude d'être sujet à ce genre d'attentions. Lorsqu'une femme s'arrangeait pour lui faire comprendre qu'il lui plaisait, elle ne le dévorait pas pour autant des yeux, ou si tel était le cas, pas au point de lui laisser penser qu'elle était sur le point de lui arracher ses vêtements avec les dents. Parce que clairement, la petite blondinette qu'il surveillait maintenant avec une certaine méfiance semblait ne pas avoir mangé depuis douze jours et projeter de faire de lui son prochain repas. Effrayant. Du coup, et au risque de passer pour un trouillard, il s'empressa de faire le marché à l'envers, bousculant quelques demeurés au passage et ayant la ferme la ferme intention de disparaitre du champs de vision de cette possible nymphomane. Sauf que le sort n'était visiblement pas de son coté en ce jour, puisqu'à peine se retourna-t-il pour surveiller ses arrières qu'il la vit, là, derrière lui, tout près, trop près. Il en sursauta d'étonnement. Alors d'une, cette nana était rapide. Et de deux, elle était de plus en plus flippante. Pourquoi le suivait-elle ? Et depuis quand ? Il préférait ne pas le savoir, en fait. Car loin d'être flatté, dans l'immédiat, il avait l'impression d'être la cible d'un possible agresseur sexuel. Pensée perturbante que celle-ci, naturellement. En tout cas, maintenant qu'il l'avait face à lui, il comptait bien tirer cette histoire au clair. Ainsi donc ... « Qui que tu sois, et quelles que soient tes intentions, je me vois forcé de te dire que ... » Naturellement, de si jolis yeux avaient vite fait de le déstabiliser, si bien que ce discours censé être moralisateur n'avait plus grande ampleur. « Je suis père de famille. De douze gosses. Et je vend de la drogue. A des collégiens. J'ai vendu ma femme à un mafieux russe. Contre de l'argent. Que j'ai dépensé aux putes. Je ... je suis illettré. Et je n'ai qu'une fesse. Ça ne se voit pas parce que mon jean est trompe-l’œil, mais c'est vrai, je le jure. » Là, il essayait très probablement de dissuader cette toute jeune femme de s'intéresser à lui. Non pas qu'il n'aime pas avoir des admiratrices. Simplement, celle-ci l'inquiétait un tantinet ...

Cette fille avait un problème. Depuis quand n'avait-elle pas bouffé, sérieux ? Parce que pour le fixer de la sorte, c'est bien qu'elle était profondément affamée, non ? A moins qu'elle soit simplement sous son charme ... mais il avait du mal à croire qu'il pouvait faire un tel effet à une femme, aussi populaire soit-il généralement auprès de la gente féminine. Là, ça dépassait tout de même tout ce qu'il avait été amené à connaitre. Car personne ne l'avait jamais fixé d'une telle manière, avec autant d'insistance, avec autant d'intensité. Il s'en sentit carrément mal à l'aise, si bien qu'il ne put que tenter une fuite à toute vitesse, se mettant alors à parcourir le marché dans le sens inverse de celui qui l'avait conduit à l'endroit où il se trouvait il y a encore dix secondes. Car déjà, il avait parcouru un certain nombre de pas, probablement désireux de s'éloigner au plus vite de cette demoiselle un peu suspecte à ses yeux. Non pas qu'il soit réellement apeuré par un regard un peu trop insistant, mais disons que par mesure de précaution, il préférait se tirer de là et éviter de retomber sur cette jeune femme à l'avenir. Malheureusement, c'était là sans compte sur l'abondance du marché et la lenteur des passants qu'il essaya tant bien que mal d'écarter de son chemin. Et tandis qu'il se croyait encore suffisamment loin de la jeune femme pour converser son avance sur elle et pouvoir par la suite la semer pour de bon, voilà que celle-ci apparut brusquement dans son dos. Elle avait été trop rapide, et pour le coup, il avait quant à lui était bien lent. La faute, assurément, à tous ces crétins qui avaient empêché sa fuite. Et donc, que lui voulait-elle ? Pourquoi cette drôle de manière de l'observer tout à l'heure ? Pourquoi ce sourire malicieux ? Pourquoi cet air suffisant ? Tant de questions qu'il ne pouvait s'empêcher de se poser à son sujet, tant elle l'intriguait, et auxquelles il espérait pouvoir bientôt trouver réponse. En tout cas, c'est pour le moins maladroitement que le jeune homme tenta de dissuader cette jeune femme de s'intéresser à lui, s'inventant par exemple une colonie de gamins, une femme vendue à un puissant russe, des activités de dealer de drogue et de nombreuses autres absurdités qui lui étaient assurément venues sur le coup de son grand embarras. Et le pire, c'est que la répartie de la jeune femme le prit de court. « Ah oui ? C’est bien dommage. Je suis recruteuse de talent et j’allais te proposer un entretien pour que tu deviennes model photo dans mon agence. Ton profil m’intéressait grandement mais à présent, face à toutes ces révélations, je suppose que je me suis trompée sur ton compte. » Il ne savait pas tellement s'il était censé la croire ou non, étant donné qu'il était d'un naturel suspicieux et méfiant, mais il est vrai qu'elle semblait convaincante. Alors au départ, il n'ajouta mot, se contentant de l'observer, très intrigué par son petit discours et par ce que cela était susceptible de cacher. « Bon et bien, je vais te laisser et repartir manger. » Et voilà qu'elle s'éloignait maintenant. Lui, il ne savait clairement pas quoi faire. La laisser filer ? La rattraper pour tirer les choses au clair ? Finalement, c'est par cette deuxième option qu'il se laissa tenter, rattrapant alors bien vite la jeune femme pour se placer face à elle et l'arrêter dans ses mouvements. « Je n'ai pas le profil de l'emploi. J'ai trop de gueule et les traits insuffisamment fins. Et ça ne m'intéresse pas. » Ça, c'était la partie où il signifiait clairement qu'il n'était pas intéressé par ce qu'elle prétendait pouvoir lui offrir. La suite arriva sans tarder. « Quel est le nom de ton agence ? Et ton nom à toi, c'est quoi ? T'as une carte de visite ? Mon frère est plus photogénique que moi et ses traits sont plus délicats que les miens, je pourrais la lui passer. Ou pas, vu que tu m'as l'air d'être une jolie menteuse. » Car s'il avait eu envie de la croire un court instant, il s'était souvenu qu'il ne fallait jamais accorder trop de crédit aux paroles de quelqu'un que l'on ne connaissait pas. Et pour le coup, il ne savait rien de cette fille. Mis à part qu'elle avait de beaux yeux, quoi qu'un peu flippants, certes.

Une quoi ? Une recruteuse de talents ? Hm, oui, bien sûr. Et dans quel monde est-ce qu'une recruteuse de talents irait-elle au marché pour choper de jeunes pouces un tant soit peu présentables ? Honnêtement, et aussi convaincante essayait-elle assurément d'être, son petit numéro avait du mal à passer. Il faut dire qu'Adriel avait toujours appris à se méfier d'autrui, surtout lorsqu'il se présentait sous les traits d'une jolie petite blonde un peu trop maligne pour être inoffensive. Entendons-nous bien, il n'avait pas peur, pas véritablement du moins. Mais il est vrai qu'il ne pouvait s'empêcher de se montrer méfiant, de soupçonner chez elle une certaine aptitude à baratiner les gens, à s'inventer un profil intéressant pour mieux les faire tomber dans le panneau. Mais que voulait-elle exactement ? Le séduire ? Elle s'y prenait assurément mal, puisque c'était bien la première fois qu'il se méfiait autant d'une jeune femme. A croire que la répartie et l'audace de cette dernière l'impressionnaient plus qu'elles ne l'affriolaient. Quoi qu'il en soit, il est vrai qu'il ne pouvait s'empêcher d'être assez intrigué par cette demoiselle. D'ailleurs, il ne manqua pas de lui courir après lorsqu'elle feignit de s'éloigner. Il voulait comprendre. Il voulait savoir pourquoi elle faisait ça, ce qu'elle attendait de lui exactement. Mais surtout, il voulait mettre un nom sur un visage et savoir qui elle était. Elle lui paraissait audacieuse et téméraire, et il était curieux de savoir à qui il devait associé de telles "qualités". « L’agence.. C’est bon t’as gagné. Je suis pas recruteuse de talent. Mon nom c’est Lily. Et ton frère, j’men fou. » Un sourire partiellement satisfait ne tarda pas à naitre sur les lèvres du jeune homme. Elle passait aux aveux et il se satisfaisait d'avoir percé son petit jeu à jour. Maintenant, elle disait s'appeler Lily. « Lily comme Lily ? Ou Lily comme j'ai-un-prénom-pourri-alors-j'ai-opté-pour-un-surnom-improbable ? » En soi, s'il devait savoir qui elle était, il préférait s'assurer d'avoir en sa possession de vraies informations concernant la jeune femme. Sait-on jamais qu'il doive un jour la retrouver, peut être ne répondrait pas officiellement au prénom de Lily. « Cependant, j’suis pas d’accord. T’aurais fais un bon mannequin. En tout cas, si tu voulais être acteur, sache que c’est raté. Ou alors il y a du boulot. » Non contente de s'être faites passée pour une professionnelle que, de toute évidence, elle n'était pas, voilà qu'elle se permettait de porter ce genre de jugements, sans doute un peu hâtifs. Et pour le coup, elle avait touché un point sensible. Lui qui avait longtemps espéré devenir comédien se voyait blessé dans son égo. Il avait beau prendre ça au second degré, ça n'en restait pas moins contrariant. Il ne montra rien, mais clairement, ce commentaire le toucha. « Ah oui, pardon, c'est vrai que toi t'es prête pour l'Oscar, hm » laissa-t-il entendre, sans plus broncher que ça. Certes, elle avait pu être convaincante à un certain moment, mais son histoire à dormir debout avait suffit à lui mettre la puce à l'oreille. « Au fait, pourquoi tu t’es barré d’un coup ? Je fais si peur que ça ? » Un rictus lui échappa alors spontanément, tandis qu'il fourra ses mains dans ses poches de jean. Oserait-il lui dire qu'effectivement, il n'avait pas été rassuré ? Cela restait à débattre avec sa fierté. « Bah t'étais pas franchement rassurante avec ton regard de mante religieuse, en fait. » Et pour cause, on aurait véritablement dit qu'elle n'avait rien bouffé depuis plusieurs semaines et que son plan était de le dévorer intégralement. Pas étonnant qu'il se soit barré à la première occasion. « Ah non, ça y est, j’ai compris, t’es gay ! » Et ça la faisait rire, en plus. Lui, déjà moins. Pas parce qu'il était contre les homosexuels, mais bien parce qu'il n'en était pas un. Pour autant, il ne s'offusquerait pas de cette présomption, et tenterait même de rentrer dans son jeu. « Tellement gay que si toi aussi t'as un frère, ça m'intéresse. » Non, évidemment pas. Déjà parce que frère ou non, il s'en foutait éperdument. Mais aussi parce qu'elle était quand même plus son genre que n'importe quel mec, aussi séduisant puisse-t-il être en soi.

Lily. C'était donc le prénom de cette jeune femme. D'un coté, elle le portait bien, mais d'un autre, ça ne lui semblait pas être sa véritable appellation. Alors Adriel, adepte des conclusions parfois un peu trop hâtives, ne manqua pas d'exprimer sa pensée, à savoir qu'il pensait que cela pouvait n'être qu'un surnom, dans l'hypothèse où elle chercherait à remplacer un prénom initial un peu moins glamour. Et à en juger par la réaction de son interlocutrice, il venait apparemment de viser juste. Pourquoi aurait-elle brusquement réagi de la sorte si ce n'est parce qu'il avait avait deviné ce que cachait un tel nom, hm ? En tout cas, ces pseudo-menaces le laissèrent perplexes. Décidément, il allait finir par croire que toutes les nanas du coin projetaient de lui régler son compte. Quel dommage qu'elles soient toutes moins crédibles les unes que les autres, hm. « Flic, non. Mais perspicace, visiblement. » La provocation, il connaissait bien. Et lorsqu'il avait à faire à ce genre de bonnes femmes, disons qu'il se plaisait d'autant plus à s'en servir. Par contre, Adriel ne tarda pas à être lui aussi touché par les déductions de la jeune femme. Il se trouve que celle-ci venait de souligner la médiocrité de son jeu d'acteur, sans se douter un seul instant qu'elle venait de réveiller de vieilles blessures. Car Adriel, bien avant de se lancer dans la chasse, avait longtemps espéré devenir comédien. Mais bien vite, il s'était rendu compte que sa famille n'aurait de toute évidence pas les moyens de financer des études d'art dramatique en dehors de la ville, alors il avait tâché d'enterrer son rêve pour toujours. Sauf qu'il lui arrivait naturellement d'y repenser, de se poser des questions, de se demander notamment s'il aurait pu être plus heureux s'il était parvenu à étudier pour conquérir son rêve. Que serait-il aujourd'hui ? Et où vivrait-il ? Finalement, repenser à tout cela lui faisait mal. Il se considérait comme un raté, et déplorait de n'avoir jamais rien fait d'intéressant dans sa vie. En tous les cas, sa défense était ici de sous-entendre que sa camarade n'avait pas non plus fait preuve d'une grande crédibilité, puisqu'il est vrai qu'elle s'était presque automatiquement dénoncée lorsqu'elle lui avait sorti la carte de la dénicheuse de talents. Disons qu'Adriel essayait surtout de ressusciter son égo, là. En tout cas, la jeune femme lui avait fichu une sacrée frousse tout à l'heure. Il s'était sérieusement senti en danger face à cette blonde au regard un peu trop intense pour être sans mauvaises attentions. Et du coup, celle-ci s'en amusait. Elle alla même jusqu'à imaginer qu'il pouvait être gay. Lui, gay ? Non, assurément pas. Il aimait les femmes, les seins, les cheveux longs ... Pour avoir sauté une bonne partie des gonzesses de la ville, il pouvait cependant se permettre d'entrer dans son jeu. Ça n'était pas comme si le moindre doute était franchement permis au sujet de son orientation sexuelle, hm. « Pas de chance, je suis fille unique. Mais on m’a souvent dit que j’étais du genre à faire changer un homosexuel de bord. Alors je ne m’en fais pas pour toi. » Bon sang, elle semblait croire à ce qu'elle disait, celle-là. « Oh, tant mieux pour moi alors. » Faire changer un homosexuel de bord ... Et puis quoi encore ? Si vraiment elle y parvenait généralement, c'était bien pour elle, mais là elle n'aurait pas grand chose à changer en soi. Par contre, oui, il ne dirait pas non à mieux la connaitre, c'est clair. Mais peut être l'avait-elle déjà compris. Mais voilà que la blonde fut bientôt empreinte à une certaine panique. Que lui arrivait-elle ? L'une de ses extensions venait de se faire la malle, ou quoi ? « Merde ! Mon porte-feuille ! » Ah, ça n'était que ça ... « C’est pas possible ! Il était dedans il y a cinq minutes. » Voilà qui était ballot. Adriel l'observa donc fouiller dans son sac, supportant même de lui porter ses quelques fruits. C'était vraiment parce qu'il voulait connaitre le dénouement de cette situation de crise, hein. « Bon, tu le trouves ton porte-feuille ? » s'impatienta-t-il tout de même, en soufflant comme un bœuf. La compréhension, ça n'était décidément pas pour lui. « J’ai dû le faire tomber ou.. on me l’a volé. » Ah, pas cool du tout. Parce qu'en plus, il y avait déjà eu quelques affaires de vol au marché. Semble-t-il que de petits voyous y sévissaient. « J'y suis pour rien, je le jure. Tu peux même me fouiller. » En soi, il disait vrai. Il trouvait simplement préférable de se défendre avant d'être suspecté. Parce qu'on suspectait toujours celui qui avait longtemps été l'enfant terrible de Cascade Locks. Toujours. « Un petit con a du te le subtiliser pendant que tu me poursuivais. Les pickpockets sont rapides et adroits. Ils t'ouvrent un sac en une demie-seconde et te le vide en à peine plus de temps. A chaque minute que toi et moi avons passé à discuter, tu as réduit tes chances de retrouver ton porte-feuille. On parle depuis plus de cinq minutes. Il est déjà loin. » Et voilà comment il pouvait la dépiter en l'espace d'un court monologue. Des portes-feuilles, Adriel en avait lui même volé un paquet pour le passé. Il savait comment ça se passait, combien de temps suffisait à voler, mais aussi à s'enfuir. Il savait que le porte-feuille et son voleur avaient quitté le marché avant même qu'elle n'invente son histoire d'agence de mannequins. Autant dire qu'elle était dans la merde.

Adriel était autant gay qu'il était mormon, autant dire pas le moins du monde. Non, il aimait définitivement les femmes, les blondes surtout - tiens donc - et n'avait jamais éprouvé la moindre attirance pour un individu du même sexe que le sein. Pour autant, il respectait ceux qui aimaient différemment, ça n'était simplement pas son truc à lui. Peut être que d'autres, dans la présente situation, se seraient offusqués qu'on les pense homosexuels, mais dans la mesure où il savait pertinemment que sa réputation de "tombeur de ces dames" éviterait de toute manière tout malentendu par la suite, disons que ça ne lui avait pas semblé bien nécessaire. D'ailleurs, il entra quelques peu dans le jeu de sa camarade, sans trop de sérieux certes, mais sans se prendre la tête non plus. Qu'elle s'obstine à croire qu'il aimait les hommes et qu'elle ose aussi penser qu'elle pouvait faire changer un homosexuel de bord, et bien, disons qu'il s'en fichait un tout petit peu. Du moment qu'elle s'en tenait là et qu'elle ne s'amusait pas à colporter de sordides histoires à son sujet par la suite, il n'y avait pas de raison pour que les choses soient plus déplaisantes que cela. Mais voilà qu'un rebondissement invraisemblable et digne des mini-séries du début de soirée survint : le porte-feuille de la demoiselle s'évapora. Autant dire que le FBI était déjà sur le coup et qu'Adriel lui même songeait à remuer ciel et terre pour le retrouver. A moins bien sûr, et cela était relativement plausible également, qu'il n'en ait finalement pas grand chose à foutre. En soi, elle n'avait qu'à mieux surveiller ses affaires, alors il va de soi qu'elle ne devrait pas compter sur lui pour l'aider à retrouver son machin. Alors certes, c'était particulièrement con qu'il s'agisse d'un porte-feuille et non d'un emballage Kinder Surprise, mais encore une fois, à elle de veiller sur ce qui lui appartenait. En tout cas, elle ne se fit étrangement pas prier bien longtemps pour fouiller les poches de pantalon du jeune homme qui, étant de bonne foi, le lui avait logiquement proposé. Disons que pour avoir longtemps été considéré comme le sale gosse de la ville, il préférait faire taire tout hypothétique futur soupçon dès maintenant. Donc non, même si à une époque il aurait tout à fait été du genre à faire ce genre de choses, il n'avait pas volé le porte-feuille de la jeune femme. A trente-et-un ans, il serait tout de même malheureux qu'il en soit encore là, non ? En tout cas, il est vrai que son passé de petit voleur et d'adepte des sales coups en tout genre lui avait appris une chose : les pickpockets étaient les rois de l'adresse et de la rapidité, au point qu'il fut forcé de lui faire savoir qu'il était extrêmement peu probable, à l'heure qu'il est, qu'elle revoit un jour son porte-feuille. Connaissant ce genre de voyous, ils étaient déjà bien loin à cet instant. « Dis donc, t’as l’air de savoir de quoi tu parles toi. » Un rictus s'échappa spontanément de ses lèvres. Et bien oui, encore une fois, il avait connu tout ça. Ses mauvaises fréquentations l'avaient conduit à voler, à arnaquer, à faire diverses choses discutables et condamnables en soi. Clairement, il ne s'en cachait pas, mais n'en était pas fier non plus. « J'étais jeune, débile et en plein mal être, alors j'ai fait des conneries, beaucoup de conneries. Donc ouais, je sais de quoi je parle, puisque dix ans en arrière, j'aurais été capable de te subtiliser ton porte-feuille moi aussi. » Il l'avait bien souvent fait, d'ailleurs. Mais à ce jour, il estimait avoir mûri. Il se battait certes toujours dans les bars, mais ça n’engageait que lui. Il ne voulait simplement plus causer du tort aux autres, à ceux qui n'avaient rien demandé. Mais tandis qu'il ne savait véritablement pas quoi dire ou quoi faire pour dépanner la pauvre Lily, voilà que celle-ci exclama quelques paroles qui l'intriguèrent. « Oh putain mais quelle conne ! » Et puis, soudainement, il la vit se recroqueviller à même le sol, et s’effondrer. Complètement surpris, Adriel resta stupéfait un court instant. Finalement, il s'agenouilla près d'elle, tandis que tout le monde s'interrogeait naturellement sur ce qu'il se passait, ce qui le mettait assez mal à l'aise à vrai dire. « Lily, c'est ... c'est qu'un porte-feuille ... Tu peux faire opposition sur ta carte et ... enfin, c'est pas la peine de te mettre dans cet état pour ça, hein. » Clairement, il se sentait maladroit, mais il faut dire qu'elle l'avait considérablement surpris, là. Il espérait ne pas mettre les deux pieds dans le plat, mais c'était particulièrement délicat comme situation. « Allez, relève-toi, on va marcher et réfléchir à ce qu'on va faire » reprit-il, en lui tendant une main. Il disait "on" pour lui signifier qu'au pire, il était là, au moins en tant que témoin, si on peut dire. Oh et puis si il voulait qu'elle se relève, il lui fallait jouer les mecs concernés. Mais peut être l'était-il sincèrement, au fond.